La culture : c’est à vous !

« Artium civitas », Cité des Arts La devise, inscrite à l’entrée de l’Hôtel de Ville, traduit la vocation culturelle de Menton qui s’exprime dans la valorisation du patrimoine – monuments et jardins. Une vocation confirmée par l’attribution, en 1991, du label « Ville d’Art et d’Histoire » Plusieurs musées, une galerie d’art contemporain et un calendrier événementiel riche – le Festival de Musique, les Colloques « Penser notre temps », le Festival des jardins ...

Anatole Le Braz, un poète à Menton

Hugues de La Touche, nous conte la vie étrange d’Anatole Le Braz, poète breton, qui a séjourné à Menton et y est mort dans les années 20.

Auteur de « La légende de la Mort », sa vie entière semble avoir été « pré-déterminée » par le poids de cet ouvrage. Hugues de La Touche a voulu en savoir plus sur l’un des « hôtes » illustres de notre ville... et nous livre ici le résultat de ses recherches.

Existe-t-il plus curieuse destinée que celle du plus grand poète breton Anatole Le Braz ? En 1901, son père, ses frères et ses soeurs meurent noyés tous ensemble dans une sombre rivière bretonne. C’est à lui d’identifier les corps sur la grève. Deux fois, son foyer est détruit par la disparition d’êtres chers et la mort de son fils à la guerre devait le marquer à tout jamais d’un sceau indélébile. Il écrivait : « Rien ne rime à rien, la vie est un non-sens ».

L’auteur de « La légende de la Mort » choisit de se retirer à Menton et demeura dans le quartier de la Madone, dans la « Casa Gyptis » (Gyptis, la fille du chef des Ségobriges (*), tendant la coupe au phocéen Eumène, symbolisait les rapports du celtisme et de la Méditerranée).

Je connaissais cette histoire, mais n’en savais pas plus, lorsqu’un jour, par hasard, sur l’album photographique d’habitants de Roquebrune-Cap-Martin, je découvris une enfant en communiante, dont on me donna le nom. Il s’agissait de Mayette Le Braz. Qu’elle ne fut pas ma surprise : elle était la petite-fille du poète dont le nom de famille était en fait « Bouchage ». Je la retrouvais aux Contamines, d’où elle me fit parvenir une photographie de son grand-père. Elle se souvenait de lui, vivant sous une grande véranda dans un vaste jardin. Elle m’avoua qu’il ne travaillait plus guère à Menton.

D’autres personnes se souvenaient d’un grand homme robuste « le barde breton », bon père de famille, intégré à la vie mentonnaise, aimant ses enfants. Il en avait six, dont trois étaient ceux de sa femme. Dans un courrier, il décrit son univers mentonnais ainsi : « Un hibou méditatif occupe ma table de travail et un Bouddha de provenance authentique préside à mes songes. Ce sont deux amis pleins de sagesse... ».

SON POÈME TESTAMENT

Son chef-d’œuvre « La légende de la Mort » réalisé en 1893 traite de tout ce qui est relatif aux « intersignes », à la divination, au départ de l’âme et des revenants chez les Bas-Bretons. Dans ces ouvrages s’exprime et prend forme tout le mystère enfoui au sein de l’âme bretonne.
Il était né à Saint-Gervais, en Basse-Bretagne le 2 avril 1859. Il fit ses études à Saint-Brieux dans le lycée qui porte aujourd’hui son nom, à Paris au lycée Saint-Louis et à la Sorbonne. Docteur ès lettres, il enseigna à la faculté de Rennes de 1901 à 1924.

Les livres tels que « Au pays du pardon » (1899), « Le sang de la sirène », « Le Gardien du feu » (1901) ou « Ames d’Occident » (1911) sont également révélateurs du malaise obscur que la hantise de l’au-delà font peser sur la race celte. L’Henriette de la photographie était la fille de Reine-Anne Le Braz qui avait épousé le docteur Antoine Bouchage. Celui-ci vivait avec son épouse et ses trois enfants à la villa Sabrina dans le Borrigo. Anatole Le Braz avait épousé sa troisième femme, Marie Davidson, en Amérique pendant la guerre de 1914.

En ce mois d’avril, je téléphonais à Mayette Bouchage aux Contamines. Sa fille, Florence Collos, m’apprit que sa mère était décédée le 5 Janvier de cette année.

Anatole Le Braz, lui, avait rêvé dans ses vers d’une mort en Bretagne, un soir de printemps.
« C’est par un soir de mai que je voudrais mourir.
Les soirs de mai sont beaux ; la terre va fleurir ;
L’air est comme peuplé de voix inentendues,
Et l’on sent Dieu qui passe au fond des étendues.
Dans les lointains, ainsi qu’une paupière d’or,
S’abaisse le couchant sur la mer qui s’endort.
Les nuages, vêtus de gaze aux longues franges,
Glissent, furtifs et doux, et c’est comme un chœur d’anges
Qui des hauteurs du ciel descendraient vous chercher ».

Ce rêve ne se réalisa pas. Il termina sa vie aux bords d’une mer où la Grèce et la Gaule se rencontrent. Là où le Ségobrige Gypsis tendit au Phocéen Eumène la coupe de l’hospitalité.

Anatole Le Braz avait-il eu avant sa mort un de ces « intersignes » qu’il décrivait déjà dans « La Légende de la Mort », comme l’ombre est la projection en avant de ce qui doit arriver ? Il semble qu’un pressentiment secret l’avertissait de la précarité de sa destinée.
Six jours avant sa mort, il écrivait de Menton : « Je n’appartiens plus guère au présent... Mais, j’ai fait d’une âme sereine mon grand acte de renoncement ».

Celle qui devait l’emporter survint le 20 mars 1926 à midi.

« L’obscur pressentiment de quelque Némésis
Car elle est toujours là qui rôde, inexorable,
La déesse masquée, aux pas furtifs et sourds,
Guettant pour nous atteindre à l’endroit vulnérable
Nos vœux les plus choyés ou nos plus chers amours ».

(*) Ségobriges : tribu gauloise


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